Aux origines de NevezLes trésors de Nevez

Le site préhistorique de Raguénez

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Le secteur de Raguénez a fait l’objet de plusieurs campagnes d’études archéologiques qui ont permis de mettre au jour des traces d’occupations humaines pendant un très long temps de la préhistoire.

Deux articles font la synthèse de ces découvertes. Dans la Revue Archéologique de l’Ouest, Nathalie Molines, Robert Gageonnet et Jean-Laurent Monnier ont publié en 1998 « Le site paléolithique inférieur de Raguénez », et dans le Bulletin de la Société archéologique du Finistère (Tome CXXX), l’archéologue Grégor Marchand, spécialiste du Mésolithique, a fait paraître en 2001 « À la recherche d’un site perdu : les occupations mésolithiques et néolithiques de Raguénez ».

La pointe de Raguénez

En reprenant les conclusions de ces communications, nous étudierons les grandes séquences préhistoriques que le site de Raguénez a révélées, le Paléolithique inférieur, le Mésolithique, le Néolithique et la période celtique. À partir de ces découvertes très localisées, nous nous permettrons d’élargir notre champ d’investigation à l’ensemble de la commune de Névez.

1 La pointe de Raguénez a été occupée dès le Paléolithique inférieur.

C’est la première période de la Préhistoire que les spécialistes font commencer il y a environ 3 millions d’années, avec l’apparition des premiers outils lithiques. Mais à Raguénez, la période représentée est beaucoup plus proche, et correspondrait à la fin de l’Acheuléen (-500 000 à -250 000). Les prospections se sont concentrées sur sept secteurs, six sur la falaise dominant la plage et un autre sur l’île de Raguénez.

Le secteur le plus à l’est, qui n’a pas été oblitéré par la végétation, est le plus accessible par le sentier côtier. On distingue de haut en bas les différentes strates géologiques : à la base, le vieux socle primaire (résultat de la pénéplanation – érosion ultime – de la chaîne hercynienne apparue il y a 400 millions d’années), et qui est constitué ici de micaschistes (des gneiss) ; au-dessus, une couche de débris de roches à angles aigus, qui sont contenus dans une gangue argileuse. Ce niveau s’est constitué sous un climat périglaciaire pendant l’ère quaternaire commencée il y a 2 millions d’années. On compte quatre grandes glaciations séparées par des périodes interglaciaires de réchauffement.

Ces variations climatiques ont entraîné de grandes oscillations du niveau de la mer. Lors de la dernière glaciation (Wurm, -115 000 à -11 700), le niveau de la mer était à -60 m au-dessous du niveau actuel. 

L’Europe, pendant la dernière glaciation de Wurm qui s’achève vers -11700

Un grand glacier continental (inlandsis) occupait toute l’Europe septentrionale jusqu’au sud de l’Irlande, le sud de l’Angleterre et le nord de l’Allemagne comme le montre la carte. La Manche n’existait pas encore (l’ouverture du Pas-de-Calais s’est produite vers -9000, lors du dernier réchauffement). 

La Bretagne reliée à la Grande Bretagne, n’était pas recouverte de glace, mais était soumise à un climat très rigoureux, de type sibérien aujourd’hui. Le sous-sol était gelé en permanence (permafrost), et la végétation se réduisait à une maigre toundra. En été, les températures pouvaient atteindre 5°C, entraînant un dégel seulement en surface. Des coulées de boue, charriant des cailloux disloqués, glissaient selon les pentes, et formaient ce que les spécialistes nomment head pour l’Angleterre et la Bretagne. Ces coulées ont eu un impact important pour les reliefs dont les ruptures brutales de pente ont été adoucies. 

On ne comprendrait pas le relief de la Bretagne en oubliant la phase finale périglaciaire qui a remodelé les formes des paysages. Cette couche de head, si importante, est bien visible sur la droite, quand on emprunte le sentier pour descendre sur la plage de Raguénez par le côté est.

La couche de head sur les falaises de Raguénez

C’est au-dessus, dans des dépôts récents, que se situe la zone qui contient le matériel lithique des hommes du Paléolithique. Le quartz, qui se présente en filons dans les micaschistes, était à leur disposition. Les industries sur quartz ne sont pas exceptionnelles quand le silex est absent. D’autres matériaux ont pu être utilisés ailleurs, comme le grès très dur qui peut être taillé avec une grande efficacité.

Fragments de quartz tout-venant que nous avons collectés sur la falaise en octobre 2020

Pour les outils en quartz, les traces de débitage sont plus difficiles à lire que sur le silex où les vibrations de percussion restent imprimées. En revanche, les fragments de quartz présentent naturellement des faces planes qui se rejoignent en angles coupants et qui peuvent converger en biseaux pointus. Les échantillons que nous avons récoltés montrent que leurs formes naturelles pouvaient être directement utilisables, peut-être pour la production de racloirs ou de poinçons. Ces fragments naturels ont pu inspirer des formes d’outillage à perfectionner.

Quoi qu’il en soit, la retouche humaine s’est avérée nécessaire. Nathalie Molines a pu repérer 36 pièces retravaillées (éclats, outils sur éclats, nucléus, galets) et 16 débris qui ont été récoltés dans cinq secteurs, dont la partie N.E. de l’île de Raguénez. Nous en reproduisons deux exemples.

Exemples de pierres retouchées, fig.4 (extraits) p10 (Le site paléolithique inférieur. N. Molines)

Ce site n’est pas unique en Bretagne méridionale ; il peut être rattaché à ceux de Plouhinec (Menez-Dregan) et de Carnac (Saint-Colomban qui a donné le faciès colombanien).

Sites du Paléolithique inférieur

Ces populations du Paléolithique inférieur étaient confrontées à des conditions climatiques extrêmes. Ils pratiquaient le nomadisme, occupaient des abris-sous-roche, des grottes. Ils vivaient de la pêche, de la collecte des coquillages (mais à cette époque la mer était beaucoup plus éloignée), de la cueillette de baies sauvages, et de la chasse aux animaux des climats froids : le renne, le cheval et l’auroch dont les représentations exceptionnelles sur des plaques de schiste datant de -14 000 ans ont été mises au jour en 2013 dans une grotte de Plougastel-Daoulas par Nicolas Naudinot et Michel Le Goffic. Ils maîtrisaient le feu et le plus ancien allume-feu connu, datant de -400 000 ans, un nodule ferreux percuté par un silex, a été retrouvé dans la grotte marine du site de Menez-Dregan en Plouhinec, contemporain donc de Raguénez.

2 Raguénez au Mésolithique (-9500 à -5000)

A la recherche d’un site perdu

Le secteur ouest de Raguénez, prospecté en 1971 par Yves Le Moal, est mentionné en 1973 par Pierre Gouletquer dans sa communication, « Découverte d’une nouvelle industrie mésolithique en Bretagne occidentale ». En 1990, Grégor Marchand intègre le site dans son sujet de maîtrise, « Le Mésolithique ancien et moyen dans le sud de la Bretagne », puis lui consacre en 2001 un article particulier dans le Bulletin de la Société archéologique du Finistère, « À la recherche d’un site perdu, Raguénez ».

Précisons au préalable quelques repères chronologiques. Les archéologues s’accordent sur les dates -9500 et 

-5000 pour borner le Mésolithique. La dernière période glaciaire est achevée, et les hommes bénéficient du réchauffement climatique. La végétation se modifie ; la steppe à herbacées régresse au profit des pins, des bouleaux, des noisetiers dont les fruits étaient appréciés, comme en témoignent les fouilles entreprises en 1990 sur le site mésolithique de Toul-an-Naouc’h en Plougoulm dans le nord du Finistère, qui ont livré des fragments de coquilles de noisettes (leur datation au radiocarbone, par le tandétron de Gif-sur-Yvette, a donné -8830 ans). La faune du Paléolithique fait place aux cerfs, aux chevreuils et aux sangliers. La fonte des grands glaciers fait remonter rapidement (près de 6 mm par an) le niveau marin qui s’élève de -45 m vers -8 700 ans à -15 m vers – 8000 ans.

Mais les îles de Groix et des Glénan restent encore rattachées au continent. À Raguénez, l’habitat, possiblement installé sur la rive gauche d’un petit fleuve, dominait une large plaine, et devait prendre l’aspect d’un campement provisoire, dont le site mésolithique de Beg-Er-Vil à la pointe de Quiberon, étudié par Grégor Marchand et Catherine Dupont, peut donner une idée précise. Depuis 2014, une campagne de fouilles autour d’un amas coquillier (sorte de décharge), a permis d’identifier les bases de l’alimentation de ces chasseurs-cueilleurs. Une trentaine de coquillages ont été identifiés : les plus consommés étaient la moule, l’huître, la patelle (bernique), le bigorneau et le monodonte (le faux bigorneau). Des coquillages servaient de parure pour les vivants et les défunts. Des arêtes et des dents de daurades, de roussettes ont été retrouvées.

Tableau « Henry Moret, Une Plage de Raguénez, 1905

Ils se nourrissaient aussi de phoques et d’oiseaux de mer (surtout des canards), et savaient cuisiner le chevreuil et le sanglier. Le site a aussi révélé l’emplacement d’une hutte, découverte exceptionnelle qui n’a pas d’équivalent en France. Cette hutte s’inscrit dans un cercle de 3,50 m de diamètre, marqué par l’emplacement de 35 trous où prenaient place des piquets qui se rejoignaient au sommet, comme les tentes d’Indiens d’Amérique du Nord. Au centre, un foyer composé de grandes dalles a été mis au jour ; des milliers d’objets en silex ont été découverts (pointes de flèches, couteaux, percuteurs, nucléus). Ces chasseurs-cueilleurs récoltaient aussi des fruits, des baies, des graines diverses (châtaignes, glands de chênes après un traitement pour en ôter les tanins…).

Ils se déplaçaient à la recherche du gibier, en étant équipés d’arcs (qui viennent d’être inventés à la fin du Paléolithique), d’un carquois contenant des flèches, dont les armatures en silex sont retrouvées aujourd’hui.

À Raguénez, le silex compose l’essentiel des matières débitées. Il provient des petits galets côtiers et offrent des colorations variées suivant le hasard des sélections et leur utilisation. Les grattoirs circulaires sont en silex gris, et les armatures de flèches, plutôt en silex coloré. Il est possible aussi que le silex gris ait été importé de la baie d’Audierne. Les armatures de flèches pouvaient être insérées le long du fût de la flèche (triangles, trapèzes), ou placées à son extrémité (pointes ou lamelles).

Une flèche armée de triangles scalènes (aux côtés inégaux) en silex.

Croquis de L. Juhel, extrait de « Archéologie en centre Bretagne » ; chapitre sur le Mésolithique de Grégor Marchand, p.28. Édit. Coop Breiz 2020 »

Pour le site de Raguénez, nous reproduisons ci-dessous quelques pièces proposées par Grégor Marchand dans son article paru dans le Bulletin de la Société Archéologique du Finistère ». (p.31).

J’intègre à mon propos quelques exemples de lamelles du Mésolithique dont je dispose, qui n’appartiennent pas au site de Raguénez, mais qui, en étant contemporaines, servent d’exemples comparatifs. Les lamelles ci-contre proviennent du gisement préhistorique d’El Mekta en Tunisie et témoignent de la culture du Captien qui s’est développée entre -10000 et -6000 dans la région de Gafsa (Capsa étant le nom antique de cette ville). Rappelons qu’à l’époque, le Sahara, qui recevait dix fois plus de pluie qu’aujourd’hui, était verdoyant.

Ces lamelles en silex, qui témoignent déjà du réchauffement climatique, offrent des caractères de débitage semblables à celles de Raguénez, mais avec des dimensions trois fois plus grandes, leur longueur variant entre 6 et 7 cm.

Fragment de lamelle, Ploumiliau (22)

En 2004, j’ai découvert dans mon potager des Côtes-d’Armor, un fragment de lamelle en silex, d’une largeur de 1 cm et d’une longueur de 1,5 cm, qui offre des caractères convergents avec l’outillage de Raguénez. Michel Le Goffic, qui avait examiné ce silex en 2007, suggérait que ce genre de lamelle pouvait armer une flèche en étant fixée perpendiculairement pour briser les pattes des volatiles d’eau (dont les oiseaux migrateurs).

Lamelles du Captien (Tunisie)

Le site de Raguénez est rattaché par Grégor Marchand au groupe de Bertheaume, d’après la station mésolithique découverte au début des années 1970 par Pierre Gouletquer, en sommet de falaise dominant la rade de Brest. L’outillage lithique se caractérise par des lamelles étroites (- de 5 mm de large), des silex taillés en triangles scalènes étroits, et des pointes fines. Vingt-cinq sites mésolithiques du Grand Ouest ont été ainsi regroupés (cf. carte ci-après ; le site de Raguénez porte le n°17)

« Les sites mésolithiques du groupe de Bertheaume. carte tirée de la publication « Les occupations mésolithiques de Pen Hoat Salaün en Bretagne » Pleuven 2012 (Nicolas, Marchand, Deloze, Juhel, Vissac) »

Ainsi, dans son étude, Grégor Marchand a voulu retenir les exemples significatifs de l’ensemble collecté par l’inventeur Yves Le Moal, sur le promontoire situé à l’ouest de la Pointe de Raguénez, mais qui est devenu difficile à prospecter aujourd’hui à cause de la présence des lotissements. Dans un ensemble comprenant 1602 pièces, il a pu identifier des galets bruts (3), des éclats (602), des lames et des lamelles entières ou fragmentées (119), des nucléus entiers ou fragmentés – noyaux de pierre desquels on a extrait des éclats – (90), des déchets divers (632), des pièces d’outillage commun (?) (144) et des pièces d’armature (12) ; leur utilité étant finalement la production d’outils en pierre, en bois et en os pour la chasse et le traitement des peaux. Parmi ces pièces, certaines apparaissent plus tardives et sont attribuables à la période postérieure, le Néolithique et peut-être le Chalcolithique (1er âge des métaux avec l’apparition du cuivre).

On peut avoir une idée de l’apparence physique de ces chasseurs-cueilleurs, semi-nomades. L’exploitation scientifique du squelette de « l’homme de Cheddar » découvert en 1903 dans le sud de l’Angleterre, ayant vécu il y a 10 000 ans, a permis en 2018 une reconstitution de son possible visage, à partir du séquençage de son ADN: l’homme d’une vingtaine d’années avait la peau noire, les yeux bleus et les cheveux bouclés.

Reconstitution du visage de “l’homme de Cheddar” (ayant vécu vers – 10 000 ans) Somerset (Angleterre) 

D’autre part, les fractures sur son crane suggèrent une mort violente. Les premières traces de guerre de notre histoire sont corroborées par l’état des vingt-trois squelettes inhumés il y a 7400 ans, dans la nécropole de Téviec, au large de Quiberon, et découverts en 1928 par le couple d’archéologues Péquart. Certains affichent une mort causée par des flèches. Ces massacres résultent-ils de conflits au sein d’un groupe mésolithique ou de l’arrivée de populations d’agriculteurs-sédentaires du Néolithique à la conquête de territoires à cultiver ? Les recherches ne le disent pas.

3 Le Néolithique à Raguénez (-5000 à -2000) et ailleurs dans la commune 

Nous avons montré les empreintes paléolithiques et mésolithiques présentes à Raguénez. L’archéologue Grégor Marchand a aussi découvert dans le même secteur certaines pièces datant de la période préhistorique postérieure, le Néolithique, ce qui indique une persistance de la fréquentation alimentaire dans ce secteur. À partir de 5000 av J.-C. le réchauffement climatique s’amorce, améliorant les conditions de vie. Les espèces végétales se diversifient, les forêts s’étendent et offrent des ressources plus variées.

L’homme ajoute à sa fonction de prédateur celle de producteur. L’élevage et la première agriculture font leur apparition. La population augmente, se sédentarise dans des villages permanents où se multiplient les spécialisations artisanales, (production d’outils, de tissus, de poteries, etc…). La mort et un sens religieux mystérieux font surgir des monuments mégalithiques dont les ruines donnent à la Bretagne une place particulièrement éminente.

Dans son inventaire, Grégor Marchand signale sur l’île de Raguenez, outre les traces du Paléolithique inférieur, la présence d’un possible rempart protohistorique qui avait été mal interprété. Rappelons qu’à cette époque le niveau de la mer est de huit mètres environ au-dessous du niveau actuel. En 1974, M. T. Morzadec-Kerfourn dans son mémoire sur la « Variation de la ligne du rivage armoricaine au Quaternaire », rappelle la situation du menhir de Men Ozarc’h en Plouguerneau dont la base se trouve à 6,40 m au-dessous des plus hautes mers actuelles, que les allées couvertes de Kernic en Plouescat et de Lerret en Kerlouan se situent aujourd’hui sur l’estran du niveau moyen de marées.

Qu’on pense aussi au double cromlec’h d’Er Lannic dans le Golfe du Morbihan, dont la partie inférieure se trouve sous les eaux, la submersion étant amplifiée ici par un phénomène de subsidence (affaissement du sol). 

À cette époque, « l’île » de Raguénez est donc toujours rattachée au continent . Au sommet, quelques pierres de chant apparaissent dans les broussailles, laissant penser à une sépulture mégalithique, « un dolmen compartimenté est d’ailleurs signalé par la carte archéologique, sans autre précision ».

Si cette hypothèse était confirmée, Raguénez entrerait bien modestement dans la famille des cairns bretons, ces sépultures collectives, souvent réduites aujourd’hui à l’état de simples dolmens, et dont les plus spectaculaires sont ceux de Barnenez dans les Côtes-d’Armor (-4700) et de Gavrinis dans le Golfe du Morbihan (-3500).

Tertre visible au sommet de l’île de Raguénez

Dans les années 1980, Michèle Sanogo avait photographié les restes d’une tombe positionnée à flanc de falaise, côté Est. Le recul de la côte l’a fait disparaître.

Tombe déchaussée mise au jour sur la falaise côté Est

En 1988, une autre tombelle a été mise au jour sur le sentier côtier entre Rospico et Raguénez et a fait l’objet d’un relevé par l’archéologue Michel Le Goffic.

Tombelle sur le sentier côtier de Rospico

Dans le secteur de Rospico-Kerascoët, au bout d’un chemin privatif, a été reconnu un cairn d’une quinzaine de mètres de long, enfermant deux caveaux distants de 3,40 mètres. Ce site, inaccessible au public, est décrit à la page 46 de l’inventaire « Préhistoire au pays de Quimperlé », mené scientifiquement en 1990 par les élèves du Collège de La Villemarqué de Quimperlé. À la même page de l’ouvrage, il est signalé la disparition en 1979 d’un autre tumulus à Rospico, lors de la construction d’un lotissement.

Un site proche de Raguénez, à quelque quatre kilomètres à vol d’oiseau, pourrait se révéler de première importance. Un long couloir de pierres dressées (tangenté par un puits), pourrait être une allée couverte, sépulture collective postérieure au dolmen à couloirs, et pouvant dater de -3000 à -2500 ans. Il subsiste une double rangée d’une trentaine de pierres en granite verticales, formant un couloir d’une longueur avoisinant les vingt mètres. Il faudrait y ajouter les 3,70 m de pierres enlevées pour le passage entre les deux cours, les 5,80 m des six pierres (d’ailleurs les plus hautes, autour de 1, 40 m) qui viennent buter contre une construction circulaire (un séchoir à lin?) et les 6,20 m de la partie non oblitérée par le puits ; le couloir atteindrait alors dans toute son extension une quarantaine de mètres

Alignement de pierres dressées, resté intact côté Ouest 

Il ne subsiste aucune dalle horizontale. Et il ne reste rien du tertre en pierres (cairn) ou en terre (tumulus) qui devait logiquement la recouvrir. L’ensemble semble inscrit dans un quadrilatère de pierres dressées, dont ne subsistent à l’Ouest qu’un côté intact d’une soixantaine de mètres, constitué de soixante-dix pierres plus larges (parfois 1,10 m) que hautes (souvent 0,75 m), et un reste d’alignement de pierres plus petites, perpendiculaire au couloir.

Ce vaste ensemble a été dégradé au long des siècles par la construction des maisons, l’ouverture d’un passage entre les deux cours, et, dans les années soixante, par l’élargissement de la voie d’accès au hameau qui a entraîné la destruction totale (!) du troisième côté à l’Est. En outre, on ne mesure pas la quantité de pierres qui ont pu être prélevées et retaillées pour la construction des bâtiments. Ce ne serait pas la première fois qu’un site préhistorique aurait servi de carrière de pierres.

Couloir central menant au puits 

Quoi qu’il en soit, les restes qui subsistent sont encore imposants et sont de nature à faire penser à une allée couverte placée dans une probable enceinte néolithique. Ces enceintes mégalithiques ne sont pas rares dans le sud de la Bretagne. À Carnac, les alignements du Ménec aboutissent à un espace sacré que limitent les menhirs les plus hauts ; et à quelques kilomètres de là, le quadrilatère de Manio, proche du « Géant » (un menhir de 6,5 m), pourrait délimiter un tumulus qui a disparu.

Ici, en Névez, tout cet ensemble complexe de pierres dressées, qui se situe en contrehaut d’une prairie inclinée, devait offrir, vu de loin, une perspective impressionnante pour des rituels qui nous échappent. Il mériterait aujourd’hui une expertise archéologique approfondie. En tout état de cause, ces exemples montrent que la zone côtière de la commune concentre une forte densité de lieux d’inhumation néolithiques.

Ailleurs dans la commune

Ailleurs dans la commune, quelques monuments du même âge estampillent le paysage.

Au Nord-Est du bourg, dans une parcelle située en contrebas de l’ancienne voie ferrée d’intérêt local, (qui a relié Pont-Aven à Concarneau-Ville de 1908 à 1936, se dresse un menhir effilé d’une hauteur de près de trois mètres et d’une largeur d’environ un mètre au niveau du sol. À côté, une dalle en granite, épaisse de 0,45 m et longue de 2,35 m, repose sur quelques pierres, comme un dolmen (?).

Menhir du quartier de la Gare

Reste de dolmen ( ?) du quartier de la Gare

En continuant sur le tracé de l’ancienne voie ferrée, au lieu-dit « Brucou », dans un jardin privé, se dresse un authentique dolmen inscrit à l’Inventaire supplémentaire des monuments historiques en 1971. Il se compose d’une grosse dalle débordante de 1,90 m de longueur, soutenue par trois pierres hautes d’environ un mètre, formant une chambre fermée de 1,50 m de large. Comme le pilier vertical du fond clôt hermétiquement l’espace, sans doute s’agit-il de la partie terminale d’une allée couverte très dégradée. L’entrée devait se situer à l’opposé, dotée d’un passage étroit qui permettait de communiquer avec la chambre funéraire collective.

Le dolmen de Brucou 

Nous tenons à signaler aussi, à cinquante mètres de la limite communale de Névez, le menhir de Kerangosquer situé en Pont-Aven. D’une hauteur de près de 5 m, avec une base trapézoïdale de 7,35 m, ce menhir a été christianisé par une croix aux bouts pattés, sculptée en réserve à 1,25 m du sol (h: 42 cm, l: 29 cm), et caractéristique des Templiers, ordre religieux et militaire fondé lors concile de Troyes en 1129. À quelque deux cents mètres, se dresse un second menhir qui dépasse les trois mètres, enfoui dans un roncier impénétrable.

Le menhir de Kerangosker 

La croix pattée

L’industrie lithique est bien représentée dans la commune de Névez. De belles pierres polies ont été glanées çà et là par un amateur ; elles sont en « métadolérite », au grain gris-bleu très dur, et ont pu être produites dans la carrière de Plussulien dans les Côtes-d’Armor, dont l’exploitation, (extraction et polissage), semble avoir débuté vers 4300 av J.-C. pour s’arrêter vers 2000 av J.-C. Ces pierres emmanchées dans des gaines en bois de cerf constituaient des outils efficaces (haches, herminettes) pour défricher la forêt, construire des habitations et alimenter les foyers domestiques. La dolérite ne fait cependant pas disparaître le silex qui reste largement utilisé.

Racloir en silex (5 cm x 3 cm)

Ci-dessus, un racloir en silex taillé à trois pans, trouvé à Kerdruc. L’outil convenait pour le traitement des peaux.

Profitons de ces empreintes néolithiques dans la commune pour évoquer les hypothèses émises au sujet de cet âge que caractérise l’apparition de l’élevage et de l’agriculture. Des questions se posent toujours. Ces nouvelles activités se développèrent-elles en Bretagne par une diffusion progressive à partir des voies danubiennes, puis de la vallée de la Loire, (les populations mésolithiques s’appropriant seules les pratiques agricoles), ou furent-elles introduites par des migrations qui modifièrent l’économie, les données génétiques et le capital linguistique ? Aucune réponse ne peut être définitive.

En tout état de cause, avec la révolution agricole et le réchauffement du climat, l’alimentation devint plus abondante, diversifiée et régulière ; elle entraîna une augmentation de la population qui se sédentarisa, mais devint aussi corvéable pour l’édification des grands monuments mégalithiques qui interrogent encore. Si les dolmens à couloirs et les allées couvertes sont effectivement des sépultures collectives, ne remplissaient-ils pas aussi une fonction supérieure d’intégration sociale qui nous est inconnue ?

Les menhirs, qui dressent leur éternité imposante, restent toujours énigmatiques ; étaient-ils liés à un culte de l’eau, à un culte solaire, ou, par leur ancrage immuable pouvaient-ils constituer des points de repère astronomique, marquer des lieux d’échanges, borner des territoires ? Ne peut-on imaginer aussi qu’ils représentaient des divinités ou des héros qui fédéraient les communautés ? Les hypothèses abondent sans certitude pour ces peuples sans écriture. Si les menhirs isolés restent énigmatiques, leur regroupement en ligne ou en cercle (cromlech) balisait sans aucun doute des lieux de culte.

Il faut signaler qu’au Néolithique moyen (-3000 ?), des événements d’une grande gravité se sont produits : beaucoup de menhirs ont été systématiquement renversés, débités. Ces destructions ont-elles résulté d’une révolution (de palais, du peuple ?), ou de l’invasion de nouvelles populations qui voulaient abattre des idoles pour s’imposer ? Cette intolérance envers les vestiges du passé (phénomène constant dans l’histoire de l’humanité), révèle en tout cas une rupture dans les codes culturels au Néolithique qui a connu, sur près de 3000 ans, plusieurs phases civilisationnelles.

Dans notre secteur, le menhir de Kerangosquer représente la période la plus ancienne (-4000, -3500), et le dolmen du Brucou, celle la plus récente (-2500).

L’extraction de ces blocs de plusieurs tonnes (65 tonnes, pour la seconde dalle de la Table des Marchands à Locmariaquer !), leur transport puis leur mise en place suscitent toujours des interrogations. En 1990, Pierre-Roland Giot rappelle que Théodore de la Villemarqué avait décidé de remonter dans son parc de Keransquer un dolmen de Rédéné, menacé de destruction par l’élargissement d’une route, et distant de quatre lieues. La table du dolmen, de taille modeste (4,5 tonnes), nécessita l’énergie de dix-huit hommes et de cinquante chevaux, l’utilisation de treuils, de poulies, de leviers, de rouleaux et de levées de terre. L’opération, qui attira une foule de curieux, dura dix-sept jours ! Il faut imaginer au Néolithique une main-d’œuvre bien plus nombreuse, disciplinée aux ordres lancés (dans quelle langue ?), mise en mouvement par des maîtres qui savaient justifier l’ampleur des travaux par des impératifs religieux ou militaires acceptés. 

Le Néolithique est-il le premier âge de l’asservissement de l’homme ? Et si les chasseurs-cueilleurs du Mésolithique avaient, malgré toutes les rigueurs climatiques qu’ils subissaient, malgré de probables massacres ou sacrifices qu’ils enduraient, mieux vécu sur les falaises de Raguénez que leurs successeurs fermiers qui étaient engagés dans des processus de soumission, et, n’en doutons pas, entraînés déjà dans des guerres de défense territoriale ?

Les vestiges néolithiques présents en Névez ont le mérite de renouveler nos interrogations sur les mystères de ces civilisations.

Tableau « Joseph Nedellec, Raguénez, (H :T 21 x 32), 2008 »

4 La présence gauloise à Raguénez et ailleurs dans la commune

Dans notre étude sur la Préhistoire, le bel Âge du Bronze (-2300 à -800), qui voit l’apparition de ce métal composé d’un alliage de cuivre et d’étain, semble être le chaînon manquant dans la succession des périodes préhistoriques représentées à Névez. À notre connaissance, aucun tumulus n’a été signalé, alors qu’ils abondent dans le nord et le centre de la Bretagne (essentiellement dans les Monts d’Arrée). 

Précisons qu’à la différence des dolmens à couloir et des allées couvertes du Néolithique qui étaient des sépultures collectives, les tumulus de l’Âge du Bronze enferment des caveaux individuels ; le défunt (certainement un chef militaire honoré), est inhumé en position fœtale, avec des objets de valeur, des haches, des poignards et des pointes de flèches en silex, taillées « en bonnet d’évêque ». Dans les pointes qu’un collectionneur m’a montrées, certaines pourraient peut-être témoigner de cet âge (?).

Aucun dépôt de haches à douille ou à talon n’a été signalé dans la commune, alors qu’en Trégunc, près de 130 haches furent mises au jour dans 6 dépôts différents, qu’en Pont-Aven, ce furent 23 dans deux dépôts et qu’à Saint-Caradec en Riec-sur-Bélon, un profond labour permit, dans les années 1990, de découvrir 1054 haches à douille ! (un trésor de haches probablement utilisées comme monnaie). Rien de tel en Névez.

Passons donc à l’âge qui suit, la période gauloise (-800 à -52), ou Âge du Fer que représente dans notre secteur la Cité des Osismes, c’est-à-dire des « Ultimes », soit des Finistériens avant la lettre.

Cette dernière période préhistorique a été reconnue sur l’île Verte en face de Raguénez. En 1996, un dépôt coquillier a été découvert au nord-est, dans une petite crique à l’abri des vents d’ouest et de noroît. Selon Grégor Marchand, ce dépôt très abîmé, d’une vingtaine de mètres de long sur une dizaine de large renferme un niveau de coquilles entières ou brisées, (pratiquement composées de patelles), et de pierres brûlées, le tout enrobé dans une matrice noire, caractéristique de ces amas coquilliers.

D’autre part, Patrick Galliou, dans la Carte archéologique de la Gaule (2010), signale la présence de tessons de céramiques laténiennes (datant de la Tène, -500 à -50 avant J.-C.), et d’amphores Dressel 1, donc d’amphores romaines. Rappelons que le mot « amphore » est dérivé du grec « amphi » signifiant « des deux côtés » et « phore » dérivant du verbe « porter ». Ces amphores pouvaient contenir du vin ou du garum, sauce-condiment, composée de chair et de viscères de poissons, voire d’huîtres, ayant fermenté dans une grande quantité de sel, et qui était très appréciée des Romains. Les amphores furent étudiées par un archéologue allemand, Heinrich Dressel (1845-1920), qui développa une typologie pour classer les amphores antiques en 45 catégories, selon leur forme, leur poids, leur utilité, leur lieu de fabrication et leur âge.

26 « Amphore Dressel 1 »

Amphore Dressel 1

Les amphores Dressel 1, les plus communes, étaient fabriquées par des ateliers italiens de la côte tyrrhénienne, et leur poids à vide de 23 kg était égal au poids du contenu (1 pleine = 2 vides).

Il fut peut-être aussi découvert un fragment d’auget à sel. L’auget se présente en forme de barquette à bords verticaux d’une vingtaine de centimètres de longueur, six de large et dix de hauteur. Les augets produits pendant le second Âge du Fer ont été retrouvés au cours de fouilles dans le Sud-Finistère (souterrain de Queneac’h huet Vras à Elliant, sanctuaire de Trogouzel en Douarnenez…). Ces moules contenant de la saumure étaient chauffés dans des fours rudimentaires pour constituer des pains de sel utilisés pour la conservation de la viande. 

Auget à sel 

Très fragiles, ils étaient brisés sur les lieux de production ou de consommation. À Raguénez, ces tessons d’amphores et d’augets interrogent ; était-ce un lieu de production de sel ou de garum ? Ces faibles indices révèlent bien une occupation gauloise que rappelle la présence dans la commune des trois stèles celtiques : celle du bourg et les deux autres à Keranguennou associées à des champs d’urnes cinéraires. 

Les trois stèles du bourg et de Keranguennou

Ainsi Raguénez offre au promeneur le déroulement sur 300 000 ans des grandes périodes de la préhistoire, le Paléolithique inférieur, le Mésolithique, le Néolithique et la période celtique. Mais le secteur intéresse encore le chercheur pour des périodes cette fois historiques plus récentes. Ainsi, en 1995, dans le Bulletin de la Société archéologique du Finistère, Pierre-Roland Giot évoque la probabilité d’un séjour possible des Vikings à Raguénez pendant le Xème siècle. Après avoir été défaits à Trans en 939 par Alain Barbetorte (le premier duc de Bretagne), les vikings occupèrent quelques points du littoral sud de la Bretagne, comme en témoigne la riche sépulture, unique en France, découverte en 1906 à Groix (nom d’origine scandinave) par Paul du Châtellier.

À Raguénez, le promeneur peut aussi y prendre conscience des variations climatiques qui n’ont cessé de modifier le paysage marin qu’il a sous les yeux. Les populations du Paléolithique avaient en perspective une vaste plaine que dominaient les collines de Groix. Nous sommes aujourd’hui dans une période interglaciaire, qui, compte tenu de ce que nous connaissons des oscillations climatiques depuis un million d’années, pourrait se clore par une nouvelle glaciation dans soixante mille ans avec des paysages qui ressembleront à ce qu’ils étaient il y a vingt mille ans. En 1993, le même Pierre-Roland Giot écrivait encore dans le Bulletin de la Société archéologique du Finistère : « ce qui aura demeuré jusque-là de choses comme le Kreisker [Notre-Dame du Kreisker à Saint-Paul-de Léon] seront réduits par la cryoclastie [fracturation par le gel] en tas de fragments surmontant de peu la morne toundra, et tendant à descendre en coulées… [de solifluxion] ». Une nouvelle couche de head viendrait alors empâter toute la région. Qui pourra alors témoigner ?

Daniel Le Feuvre

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