14 - 18Les trésors de Nevez

Le sauvetage des marins du vapeur norvégien Ymer en janvier 1917

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La guerre sous-marine

Depuis 1914, la guerre fait rage dans toute l’Europe. L’Allemagne a envahi le nord de la France. Elle été stoppée à 30 kms de Paris, après la bataille de la Marne. Les armées s’enterrent sur la ligne de front (Somme, Aisne, Champagne) : une guerre de tranchées débute, provoquant, en 1915, une hécatombe chez les belligérants.

Au début 1916, l’Allemagne lance une vaste offensive dans le secteur de Verdun, qui sera un échec. De juillet à novembre 1916, les Alliés organisent une offensive sur la Somme, non concluante et provoquant un nouveau massacre. 

La guerre sous-marine a été décidée par l’Allemagne dès le début du conflit, pour briser le blocus imposé par la Grande-Bretagne. Le 31 janvier 1917, alors que l’on va apprendre la tragédie de l’Ymer, l’Allemagne décrète la « guerre sous-marine à outrance », c’est-à-dire la destruction de tous navires alliés ou neutres, militaires, marchands ou passagers, dans les eaux de la Grande-Bretagne, de la France et de l’Italie, mais aussi dans l’Atlantique et la Méditerranée. Elle espère ainsi détruire toutes les capacités de la Grande-Bretagne en lui coupant ses approvisionnements et l’amener à se retirer du conflit ; et cela, dans un temps suffisamment court pour que les Etats-Unis n’aient pas le temps d’entrer dans le conflit.

C’est l’inverse qui se produira, cette décision provoquera l’entrée en guerre des Etats-Unis le 6 avril 1917.

En 1914, l’Allemagne disposait de 28 sous-marins (U-Boote) ; en 1918, 380 auront été construits. Le faible emport de torpilles des sous-marins exigeait que le minimum de torpilles soient tirées en mission. 

La plupart du temps, on essayait d’arraisonner le navire cible, puis de mettre son équipage dans les chaloupes, puis de faire sauter le navire par des charges explosives. Dans le cas où le navire refusait de se rendre, on essayait le canon de 105 ; ce n’est que si tout était impossible ou avait échoué que l’on lançait l’une des précieuses torpilles.

«Sur les 345 U-Boote opérant durant la guerre, 274 coulèrent 6 394 navires marchands et une centaine de navires de guerre. 229 U-Boote ont été perdus dont 178 en opérations. U-boote »

Névez 1917
La mobilisation est programmée du 3 au 16 août 1914. 

A partir du mercredi 5 Août, les premiers convois quittent les principales villes bretonnes en direction de l‘est. Les fusils et les canons parfois ornés de fleurs ou de feuillage, les fantassins se sont rendus en défilé de leurs casernes aux gares sous les ovations de la foule ; et sur le bois des wagons, on a parfois peint de grandes inscriptions, telles que « Train de plaisir pour Berlin » ! Sont concernées les classes 1887 à 1913. Viendront plus tard les classes 14 à 19.

“Tous à Berlin”
De 1914 à 1917, ce sont 570 Névéziens qui sont mobilisables, parmi lesquels environ 520 ont réellement été mobilisés.

Ainsi, 2 hommes sur 3 ont quitté la commune. Ils sont principalement cultivateurs et marins-pêcheurs. Les premiers laisseront la charge de la ferme aux femmes, aux jeunes, et aux anciens.  Les seconds ne seront pas remplacés sur mer. Toutefois, ne seront pas mobilisés les inscrits maritimes, en surnombre. 

A la fin janvier 1917, 46 Névéziens sont déjà tombés, « tués à l’ennemi » sur les champs de bataille, disparus, morts des suites de leurs blessures ou de maladie, ou disparus en mer. Plusieurs Névéziens ont participé à l’expédition des Dardanelles au printemps 1915. 4 sont morts au combat. 1 a péri en mer (cuirassé Bouvet).

La destruction de l’Ymer

« de Santander à Raguénès »

Le vapeur Ymer, parti de Santander le 22 janvier 1917, à 15h30, avec un chargement de minerai de fer pour Middlesbrough, fait route à l’est en longeant au plus près la côte, suivant les instructions des autorités navales britanniques, jusqu’à la hauteur de la pointe Santa Catalina. De là, il met le cap au nord-ouest à la vitesse de 9 nœuds.

Le 23 janvier, à 14h30, il se trouve à 60 milles au large de Rochefort. 2 coups de canon à blanc signalent la présence, à environ 4 milles par tribord, d’un sous-marin venant du sud-est à vitesse réduite. L’Ymer stoppe et hisse son numéro.

« Nos messagers de la paix »

« Sous-marin à la manœuvre »

Le vapeur D/S Ymer

Le D/S Ymer, vapeur cargo de 1 123 tonneaux, a été construit en 1910 et  lancé le 19 octobre à Bergen  par les chantiers Laxevaags Maskin & Jernskibsbyggeri.

Il était exploité par la compagnie  J. Lund & Co. de Bergen.

« D/S Hestmanden sister ship de l’Ymer, construit en 1911 par les mêmes chantiers de Bergen  [Norsk Maritimt Museum, Oslo] »

Lorsqu’il fut arraisonné le 23 janvier 1917, il transportait du minerai de fer de Santander à Middlesbrough (Nord Est de l’Angleterre).

« D/S Hestmanden durant la guerre 1914 – 1918 »

Le sous-marin – il s’agit du UC 16 poseur de mines de la marine allemande – ne porte pas de pavillon. Peu de temps après, il tire deux autres coups, à obus cette fois, dont l’un n’arrive pas jusqu’au navire, mais dont l’autre atteint le rouf surmontant, sur le gaillard d’avant, le panneau de descente du poste d’équipage. Une partie du rouf est arrachée. Des éclats d’obus atteignent les pavillons hissés entre les deux mâts, et un éclat blesse légèrement à la figure un jeune matelot qui se trouvait dans le poste.

L’équipage, composé de quatorze hommes, embarque dans les deux baleinières, commandées l’une par le capitaine, l’autre par le second. La baleinière du capitaine,  sur un ordre venant du sous-marin accoste celui-ci ; on fait embarquer à bord du UC 16 le capitaine Alexander Eide et 2 marins ; 3 ou 4 Allemands les remplacent dans l’embarcation, qui retourne vers l’Ymer. 

Les Allemands montent à bord du cargo, et la baleinière retourne au sous-marin pour rembarquer le capitaine et les 2 marins. Le capitaine informé des intentions des Allemands, demande à ce que les baleinières soient remorquées jusqu’à terre, ce que le commandant du sous-marin refuse.

Pendant ce temps, dans une petite embarcation, les Allemands chargés de la destruction de l’Ymer montent à bord du navire qu’ils fouillent afin d’emporter tout ce qui est susceptible de servir puis repartent avec leur butin à bord du sous-marin. Ils placent des bombes à l’avant  de l’Ymer et quittent le navire.

A 15 heures, une forte explosion ; le navire pique de l’avant presque verticalement et disparaît en moins d’une minute. Le sous-marin poursuit sa route au nord-ouest en surface et à vitesse réduite.

« Destruction d’un cargo  « en direct » depuis un sous-marin allemand »

Les 2 baleinières de l’Ymer, abandonnées par l’UC 16, naviguent de conserve, du 23 janvier après-midi jusqu’à la nuit du 25 au 26 où elles se perdent de vue, faute de pétrole et d’allumettes. Les vents sont faibles et contraires, on progresse à l’aviron, en tentant d’approcher la terre. La première baleinière avec le capitaine Eide ne sera pas retrouvée. La seconde poursuit seule sa navigation désormais à la voile.

Dans la matinée du 26 janvier, après 3 jours d’errance, sans manger ni boire, les marins norvégiens aperçoivent  à 5 milles environ, une île qu’ils ne peuvent identifier. Ils doublent l’île par le nord et reviennent dans l’ouest, faisant des signaux de détresse à l’aide d’un chiffon.

Mais déjà ils ont été repérés, et ils voient à leur grand soulagement le sémaphore hisser des couleurs. L’Ile d’Yeu est en alerte. Il est 11 heures.

Encart « Le sous-marin UC-16 »

L’Ymer est une des nombreuses victimes de la guerre sous-marine à outrance déclenchée par l’Allemagne: les U-Boote (sous-marins) attaqueront tous les navires sans distinction. C’est la 1ère bataille de l’Atlantique, destinée à couper tous les approvisionnements de la Grande-Bretagne, avant que les États-Unis n’aient le temps d’entrer en guerre.

Le sous-marin UC-16

Le UC 16 appartient à la classe UC II des  sous-marins U mouilleurs de mines côtiers  (64 sous-marins construits) ; il fut  construit  par les chantiers Blohm & Voss (atelier 266) à Hambourg au cours du second semestre 1915, lancé le 1er février 1916 et opérationnel  le 18 juin 1916.Le UC 16 effectua 13 missions.

A son tableau de chasse, 43 bateaux coulés (43 915 tonnes) et 6 endommagés.

« L’UC 15, identique à l’UC 16 [Source : das Bundesarchiv]

Il disparut le 4 octobre 1917, probablement après avoir heurté une mine au large de Zeebrugge. Ses 27 membres d’équipage périrent. 

L’UC 16 fut commandé par l’Oberleutnant Egon von Werner du 26 juin 1916 au 22 avril 1917. Egon von Werner est né le 31 décembre 1888 à Sigmaringen (Bad-Würtemberg). Il entre dans la marine le 1er avril 1908 comme Seekadett (aspirant de marine). Au moment des faits, il est âgé de 28 ans, a le grade d’Oberleutnant zur See (enseigne de vaisseau).

Durant la Grande Guerre, il aura eu à son actif le torpillage de 68 navires de commerce, d’un navire de guerre et des avaries infligées à 11 navires.
Il sera titulaire de la croix de fer de 1ère classe. Peu après son « exploit » contre l’Ymer, il est décoré de l’Ordre Royal de la Maison des Hohenzollern. 

Il quitte la Marine le 9 septembre 1920, avec le grade de Kapitänleutnant zur See (lieutenant de vaisseau). Il décède en 1955.

Le sauvetage à l’Ile d’Yeu

Le patron du canot de sauvetage de la SCSN (Société Centrale de Sauvetage des Naufragés), Noé Devaud, commence à constituer un équipage. Les sauveteurs habituels sont au front, seuls 2 sont présents; il fait appel à des volontaires qui se présentent en nombre, parmi lesquels il choisira 9 hommes les plus aptes.

« Sortie du Paul-Tourreil de son abri »

Le canot de la station de sauvetage, le Paul-Tourreil, est rapidement préparé; les hommes s’équipent et s’assurent d’emporter quelques provisions: rhum, pain et biscuits ; inutile de trop se charger, la mission de sauvetage ne sera pas longue et l’on sera de retour dans l’après-midi. L’embarcation à sauver n’est qu’à 3 milles.

Pour l’instant, la basse mer ne permet pas de lancer le Paul-Tourreil sur sa rampe de mise à l’eau.  On attendra jusqu’à 13h30.

A 16h00, le Paul-Tourreil a récupéré les naufragés, à qui on donne le pain, les biscuits et le rhum. C’est maintenant le retour au port. Un voilier qui rentre au port propose d’embarquer les rescapés, mais Noé Devaud décline l’offre. Il dira dans son rapport de mer qu’il n’avait pas vraiment confiance.

A 17h00, le vent de sud-est se lève, violent et les courants sont contraires : on est en période de grandes marées. Noé Devaud se rend bien compte qu’il ne pourra rentrer au port ce soir-là. Il prend la décision de mouiller en attendant le lendemain matin. Sa manœuvre est suivie et comprise depuis l’île, et on ne s’inquiète pas vraiment.

Vers 21h00, le câble de l’ancre se rompt, et le canot part à la dérive vers le nord-ouest.

La nuit passe dans le froid, la neige et sous un vent violent. Le samedi 27 janvier, vers 15h00, on aperçoit Belle-Île ; malgré leurs doigts gelés, les sauveteurs s’arc-boutent sur leurs avirons mais le vent trop violent  les empêchent de s’en approcher. La dérive se poursuit.

Le canot Paul-Tourreil 

Ce canot de sauvetage a été offert à la SCSN par la famille de Paul Tourreil (Marie-Paul Joseph Tourreil : 1871-1912), un jeune lieutenant de vaisseau, décédé à l’âge de 41 ans, à Paris. Le “Paul-Tourreil” était le 4ème canot de la station de sauvetage de l’Ile d’Yeu, ouverte en 1869 par la Société Centrale de Sauvetage des Naufragés (SCSN). Il a été commandé le 7 février 1913 et construit aux chantiers Augustin Normand du Havre sous le numéro AND 125.

« Plan du canot des chantiers Augustin Normand. Tous les canots de 9,80 m avaient les mêmes plans de forme et la plupart d’entre eux portaient 5 bancs de nage à couple de 10  hommes »

Après la tragédie, il a été renvoyé au Havre au chantier Augustin Normand pour réparation et motorisation : 1 moteur Baudouin de 20CV.
Il fut affecté à la station de La Pallice en 1919, sous son nouveau nom de Franck et Charles Allenet.

En 1924, il passa à 2 moteurs de 10CV Baudouin. Il fut désarmé en décembre 1932. Au cours de l’année 1933, il fut affecté à la station de Croix de Vie, toujours sous le même nom.

Il fut retiré du service en 1944 : suite au sauvetage d’un équipage allemand du croiseur Tellus, le canot s’est éventré sur des rochers.

Récupéré, il est resté longtemps dans un hangar à Croix de Vie. Il a été vendu en 1962 pour 1 300 NF (1 838 €) au docteur Estève d’Avignon, qui l’avait armé en plaisance, avait fait rapporter un poste avant avec 2 couchettes, et l’avait rebaptisé Oyo. 

La facture ne correspondant pas au devis, il avait entamé un procès contre le chantier à Aigues-Mortes. Le canot a semble-t-il servi ensuite dans une base de plongée, dans la région.

Dans la soirée, 3 hommes décèdent : Robert Skaar, Friederich Anderbrügge et Robert Izacard. 

Dimanche matin, c’est au tour de 6 autres hommes de succomber au froid et à la faim : Henrik Svenson, Mathias Røstberg, Emil Berg Larsen et Pierre Pelleter, Joseph Renaud, Jacques Taraud.

Vers 11h00, Noé Devaud aperçoit l’Ile Verte qu’il sait inhabitée ; il décide donc de se diriger vers l’autre île, elle, habitée : c’est l’île de Raguénès.

L’atterrissage à Raguénès

« L’île de Raguénès au début du 20ème siècle
Sur l’île de Raguénès, accessible à pied 6 heures par jour, vit la famille Marrec : Jean-Marie, 49 ans, marin-pêcheur, Catherine Montfort, son épouse et leurs 9 enfants âgés de 7 à 26 ans

A la belle saison, les terres sont cultivées par la famille, on y élève aussi quelques animaux. Le goémon est abondant. 2 fours surmontés de 2 grandes cheminées servent à brûler les algues : l’iode obtenue est un produit précieux pour soigner les blessés de guerre.

Depuis une semaine, les grandes marées, avec un fort coefficient de 100, sont accompagnées d’une tempête d’est-sud-est. Les températures restent négatives et oscillent entre -15°C et -5°C. Se rendre sur l’île ou revenir sur le continent devient difficile, tout est gelé, verglacé.

Ce dimanche 28 janvier 1917, Jean-Marie Marrec et les siens vaquent à leurs occupations quotidiennes. En observant la mer, Jean-Marie aperçoit un canot en difficulté qui s’approche de l’île Verte ; le vent de sud-est s’est un peu calmé mais la houle reste très forte. Il fait signe aux marins de contourner l’île de Raguénès par l’ouest pour se mettre à l’abri car la mer descend. Le canot contourne l’île et s’échoue à Porz-Gall à la mi-journée.

« Le parcours du Paul-Tourreil en pointillé rouge »

Jean-Marie et deux des siens descendent sur la grève, ils sont horrifiés en voyant le nombre de naufragés. Il faut agir vite, il est encore possible de sauver quelques hommes ; ils comptent déjà au fond du bateau les corps gelés : 4 marins de l’Ile d’Yeu et 5 marins norvégiens. 

La famille Marrec et les survivants valides portent les frères Pillet jusqu’à la maison. Emile décèdera sur le seuil, Edmour mourra 12 heures plus tard.

Le premier Norvégien s’est précipité vers l’hôtel  Raguénès-Plage, en empruntant  le passage à marée basse, pour chercher du secours. 
Il est impossible de sortir les dépouilles des marins du canot. Le patron Noé Devaud explique leur tragique odyssée. Tous sont affamés, assoiffés, transis de froid, et souffrent de gelures importantes aux membres.

L’île est accessible à pied ce jour-là en début d’après-midi [basse mer :11h08, pleine mer : 17h27].

Comme cela se faisait encore, surtout par mauvais temps, les marins se rendent à Raguénès « voir la mer » ; une agitation anormale est perceptible du côté de l’île, les voisins de Keroren, Kercanic, Raguénès : Ollivier, Lollichon, Daoudal, Guillou, Robigou et Richard viennent prêter main forte à Jean-Marie.

La repasseuse de coiffes vient justement livrer sa parure à Catherine, l’épouse de Jean-Marie ; elle est complètement traumatisée en voyant les naufragés. 

La maison est trop petite pour héberger tous ces malheureux. Les enfants déménageront pour quelques jours dans la chaumière familiale de Kercanic.  (La famille est locataire de l’île).

Catherine Marrec prépare les lits et de l’eau de vie dont elle va frictionner les plus mal en point. Et leur sert de la soupe chaude. Noé racontera plus tard qu’il avait bu une demi-bouteille d’eau de vie et sept assiettes de soupe chaude sans être rassasié.

Familles et amis de Raguénès et de Kercanic se mobilisent pour apporter couvertures, victuailles et remontants. On s’active autour de la cheminée pour entretenir le feu réconfortant mais impuissant à sécher les vêtements gelés. On apportera des hameaux voisins du linge sec pour pouvoir habiller les survivants.

« La grange de l’île. Au second plan la côte et Raguénès »

La marée va remonter, il n’est pas possible de mettre un canot à l’eau. Jean- Marie relève l’identité des victimes, et, accompagné par Jean-Marie Sellin patron-pêcheur de Keroren, il se rend au bourg de Névez déclarer les décès : Emile Pillet, Edmour Pillet, Adolphe Izacard, Pierre Pelletier, Armand Taraud, Joseph Renaud de l’Ile d’Yeu puis les victimes de l’Ymer : Robert Skaar , Mathias Røstberg, Emile Berg-Larsen, Norvégiens, Henrik Svenson, Suédois, le cuisinier hollandais dont on ignore le nom. 

[On découvrira son identité en novembre 2016 !]. 

Le conseiller municipal qui fait fonction de maire, en l’absence du maire Joseph Tréguier, de Kerleun, mobilisé, est Michel Drouglazet. Les décisions seront prises collectivement pour organiser les funérailles.

Toutes les victimes déclarées sont des inscrits maritimes : c’est l’administrateur Laplanche, basé à Concarneau, qui doit s’occuper de cette affaire. Le maire le tiendra informé dès le 28 janvier à 19h30, par voie postale.

Le lundi 29 janvier 1917, le temps est toujours aussi glacial, le verglas omniprésent. Les voisins des villages de la côte se dépêcheront d’apporter du linge, des vêtements, des couvertures, de la nourriture. La sœur de Catherine Marrec, Thérèse,  viendra pendant plusieurs jours aider à soigner les malheureux cloués au lit. 

A la demande du maire, Jean-Marie et son collègue organisent le départ des corps pour la chapelle ardente au bourg. Les cultivateurs de Keroren proposent leur aide – dont M. Cadiou en charrette. 

Cela peut se faire dans l’après-midi à marée basse [basse mer : 12h08, pleine mer : 18h27]. Un passage est régulièrement entretenu pour laisser passer les charrettes.

Ce lundi 29 janvier, on dégage les corps du canot. Pris dans la glace, c’est à la pioche qu’il faut libérer les corps. Ils sont transportés au village sur des civières portées par les hommes de Raguénès, Kercanic, Kerstalen et Célan et les aînés de Jean-Marie Marrec.

« Charrette à goémon à Raguénès »

Le sol gelé ne permet pas aux chevaux attelés d’affronter les côtes.  Le convoi a les pires difficultés à franchir les montées de Raguénès et de Célan à cause du verglas. 

Les porteurs (ils sont 44 !) doivent quitter leurs sabots et progresser en chaussons pour ne pas glisser. Les corps sont déposés en une chapelle ardente à la chapelle Sainte-Barbe déjà désaffectée à cette époque. Le recteur avait refusé l’accès à l’église paroissiale, les marins de l’Ymer étant supposés protestants…

« La chapelle Sainte-Barbe au début du XXème siècle »

Dans l’après-midi, l’administrateur Laplanche et le Consul de Norvège Gustave Bonduelle ont pris le train à Concarneau pour Névez. L’administrateur est consterné : il connaissait personnellement toutes les victimes de l’Ile d’Yeu pour y avoir été en poste… Il s’empresse de contacter son collègue sur l’île afin qu’il annonce la catastrophe aux familles.

Laplanche et Bonduelle rencontrent les marins Devaud et Plessis venus se recueillir sur la dépouille de leurs camarades ; ils repartiront en train le soir pour Concarneau. Sur l’île, il restera les deux Norvégiens ainsi que Girard, Turbé, Gouillet et Tonnel.

Le 30 janvier 1917, le canot Paul-Tourreil est toujours échoué à Porz-Gall. L’administrateur Laplanche a donné l’ordre aux marins de Raguénès (Ollivier, Lollichon, Daoudal, Guillou, Robigou, Richard et Sellin) de convoyer le Paul-Tourreil à Concarneau où il sera mouillé dans l’arrière-port.


Le maire de Névez organise les funérailles des victimes. Il faut creuser 11 tombes dans le sol gelé au pied du mur est du cimetière pour accueillir provisoirement les victimes. La commune est pauvre, mais se fait un honneur d’aider les victimes de la guerre ; le conseil municipal prendra une délibération en ce sens.

Le 31 janvier à 15 heures, les obsèques des onze marins se tiennent en l’église Sainte-Thumette. C’est un enterrement de 1ère classe qui fut célébré (il y avait 3 classes à l’époque), mais à un prix très réduit : 25 francs au lieu de 102. Les prêtres de Névez ont été – finalement – solidaires.

Mercredi 31 janvier 1917, l’administrateur de l’inscription maritime et Gustave Bonduelle, consul de Norvège, assistent à la cérémonie ainsi qu’une foule nombreuse, des Névéziens bien sûr, mais aussi des personnes venues de Pont-Aven ou Concarneau. Ensemble, ils accompagnent les corps au cimetière du village où ils seront inhumés, marins de l’Ymer et leurs sauveteurs côte à côte.

« Au premier plan : sépultures des marins norvégiens ; au second plan, sépultures des marins de l’Ile d’Yeu ; contre le mur, les deux couronnes offertes par les Névéziens.

Après les obsèques, l’administrateur ramène à Concarneau les survivants. Ils seront soignés pendant une dizaine de jours à la villa des Haudriettes, réquisitionnée comme lieu de convalescence des soldats blessés.

Le 13 février 1917, les deux Norvégiens hospitalisés à l’hôpital Saint-Guénolé à Concarneau quittent la ville pour se rendre à Quimper en train. Ils rejoignent l’équipage du vapeur Norvégien « Dernes » lui aussi torpillé par les Allemands. Accompagné du consul de Norvège, ils prennent le train pour Le Havre, afin d’être rapatriés en Norvège. Ils ne donneront jamais de leurs nouvelles. 

« A la villa des Haudriettes à Concarneau, Erling Madsen et  Hilmar Raaheim  entourés de soldats en convalescence.

Le 18 février 1917, une messe sera célébrée « pour les naufragés de l’Ile d’Yeu ».

Les familles de l’Ile d’Yeu ont obtenu, dès le 28 mars 1917, du Préfet du Finistère, l’autorisation de transférer les corps de leurs marins sur l’île.  Le 27 avril, l’exhumation et le transfert avaient lieu. Les dépouilles des sauveteurs islais furent transférées par les soins de la Société Centrale de Sauvetage à l’Ile d’Yeu où elles arrivèrent le 30 avril.

« Retour des corps des sauveteurs à l’Ile d’Yeu, le 30 avril. »

Le 2 mai 1917, eurent lieu des obsèques solennelles, en présence des représentants de la Société Centrale de Sauvetage, du ministre de la Marine, du sous- secrétaire d’Etat de la Marine marchande, de l’administration préfectorale et de la municipalité.

« Tombe des marins de l’Ymer au cimetière de Névez. Sous la plaque aux marins de l’Ymer, la plaque à la mémoire des six sauveteurs de l’Ile d’Yeu. »

Les marins norvégiens, suédois, hollandais reposent depuis plus d’un siècle au cimetière de Névez. Leur sépulture, rénovée en 2017, à l’occasion de la commémoration du centenaire, est connue sous le nom de « tombe des Norvégiens ».

« Les six survivants du canot de sauvetage, de g. à d. : 
Noé Devaud, Baptiste Tonnel, Alexandre Gouillet, Emmanuel Turbé, Pierre Girard, et Olivier Plessis, un mois après la tragédie, assis sur la cale de lancement du canot de sauvetage de l’Ile d’Yeu, à Port Joinville. »

Retentissements et honneurs

L’histoire de la tragédie a été abondamment contée dans la presse nationale et internationale. La revue l’Illustration y a consacré 6 pages en mars 1917. La presse norvégienne, au premier rang de laquelle le Aftenposten, organisa des souscriptions pour venir en aide aux familles des sauveteurs décédés. 

L’Illustration

Aftenposten

Le roi de Norvège octroya une pension à vie aux sauveteurs. Un monument fut érigé à Port-Joinville par le gouvernement norvégien, situé sur la – rebaptisée – Place de Norvège.

« Inauguration à Port-Joinville du monument norvégien aux sauveteurs – 19 juillet 1922 »

Une pluie de médailles tant françaises que norvégiennes a récompensé les héros du drame, les sauveteurs bien sûr et Jean-Marie Marrec également.

Ces honneurs ne sauraient occulter les polémiques qui ont prospéré sur les responsabilités du patron Noé Devaud: il lui fut reproché son excès d’assurance et en particulier son entêtement qui le conduisirent à refuser l’assistance qui lui était proposée lorsqu’il tentait de rejoindre son port après avoir sauvé les naufragés.

Enfin, l’odyssée des marins de l’Ymer a inspiré aussi les artistes dans les années qui suivirent la guerre.

Olivier Weill-Hébert

« Paul-Emile Pajot (1873-1929) – L’Aube du Troisième Jour [1922] Marin-pêcheur et artiste-peintre naïf, des Sables-d’Olonne. A partir de 1900, il rédige un journal intitulé « Mes aventures », dans lequel il racontera l’odyssée des sauveteurs de l’Ile d’Yeu. »

« André Theunissen (1895-1936) – L’odyssée dramatique du canot de sauvetage « Paul Tourreil ». Peintre officiel de la Marine, peintre officiel de l’Air et de l’Espace. 

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