La vie quotidienne à Nevez

Mystères et légendes : Le clerc de Rohan

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Théodore Hersart de la Villemarqué raconte dans le Barzaz Breiz que cette ballade a été entendue par sa mère, chantée par une vieille dame de Névez, Marie Tanguy. Seules deux Marie Tanguy répondent au portrait : Marie Anne, de Kermeun, née en 1774 ; Marie-Josèphe, de Kerrun, née en 1777. Elles avaient une soixantaine d’années quand Théodore s’apprêtait à publier sa première édition, en 1839.

Jehanne de Rohan avait épousé, en 1236, Matthieu (appelé Mahé par les bardes), Seigneur de Beauveau. Leur bonheur durait depuis trois ans quand Pierre Mauclerc, duc de Bretagne, prit, aux côtés de Louis IX (Saint-Louis), la croix pour aller combattre les Sarrasins. Mahé fut un des premiers à se ranger sous la bannière de son seigneur, pour cette septième croisade.

Louis IX durant la septième croisade – Manuscrit 1250-1500

– I –

Il était une gentille enfant de la famille de Rohan ; 

il n’y avait plus d’autre fille qu’elle.

Entre douze et treize ans, 

elle consentit à prendre un mari.

Elle consentit à choisir entre barons et chevaliers,

Entre chevaliers et barons qui venaient lui rendre visite ;

Aucun d’eux ne lui plut, excepté le seigneur baron Mathieu,

Le seigneur du château de Tronjoli, homme puissant d’Italie ;

Celui-ci plut à son cœur par sa loyauté et sa courtoisie.

Le bonheur des époux avait duré trois ans et demi,

Quand fut portée à tout le monde 

la nouvelle du départ pour la guerre d’Orient.

  Comme je suis du plus noble sang, il me faut partir le premier ;

Donc, puisqu’il le faut, mon cousin, je te confie ma femme,

Je te confie ma femme et mon cher fils ;

Aie bien soin d’eux, bon clerc.

Le lendemain matin, comme il partait,

Bien monté, équipé et alerte,

Voici venir la dame qui descendait

En pleurant les degrés du perron ;

Elle descendait avec son enfant dans ses bras,

Et sanglotait la bonne dame.

S’étant approchée de son mari,

Elle embrassa son genou.

Elle embrassa son genou 

et l’arrosa de ses larmes.

  Mon cher seigneur, je vous en supplie, 

      Au nom du ciel, ne me quittez pas ! 

Le seigneur, attendri, 

lui tendit la main,

et il l’enleva de terre dans ses bras,

et la fit asseoir devant lui ;

Il la fit asseoir sur son cheval 

Et l’embrassa.

  Chère petite Jeanne cesse de pleurer ;

   Je serai de retour dans un an.

Puis il prit son enfant de dessus des genoux

De sa douce épouse,

Il le prit entre ses bras, 

Et il le regardait avec tant d’amour !

  N’est-ce pas, mon fils, que, lorsque tu seras grand,

Tu viendras à la guerre avec ton père ?

Lorsqu’il sortit de la cour,

Grands et petits poussaient des cris,

Petits et grands, tout le monde pleurait ;

Mais le clerc, lui, ne pleurait pas.

  II  

Le clerc perfide ainsi parlait à la jeune dame, un matin :

  Voici l’année finie et la guerre aussi, je présume

Voici la guerre finie, et il ne revient pas au château.

Répondez-moi, ma sœur, ma dame, que dit votre cœur,

Est-ce à présent la mode pour les femmes de rester veuves,

Bien que leur mari soit vivant ?

  Tais-toi, misérable clerc !

Ton cœur est plein de péchés ;

Si mon mari était ici, 

il te romprait les membres.

Quand le clerc l’entendit, il se rendit secrètement au chenil,

Où, avisant le lévrier du seigneur, Il lui coupa la gorge.

Et après l’avoir tué, il écrivit avec le sang,

Il écrivit une lettre au seigneur et la lui adressa à l’armée.

Et cette lettre portait : 

« Votre femme, cher seigneur, est chagrine ;

« Elle est très chagrine, votre chère petite femme 

A cause d’un malheur qui est arrivé :

« Elle est allée chasser la biche,

Et votre lévrier fauve est crevé ; »

Le baron, ayant lu la lettre, y fit cette réponse :

« Dites à ma femme de ne pas se chagriner, nous avons de l’argent assez :

« Si mon lévrier fauve est mort, 

hé bien, j’en achèterai un autre, à mon retour ;

« Toutefois, qu’elle n’aille pas trop souvent chasser la biche,

Car les chasseurs sont dérangés. »

  III  

Le méchant clerc vint trouver la dame une seconde fois :

– Vous perdez, ma dame, votre beauté, à pleurer ainsi nuit et jour ;

– Je me soucie peu de ma beauté

  Quand mon mari ne revient pas.

– Puisqu’il ne revient pas, votre mari,

  Sans doute qu’il est remarié ou mort.

  En Orient, il y a de belles filles qui,

  De plus, ont beaucoup d’argent.

  En Orient, on fait la guerre :

  Bien des gens, hélas ! y périssent.

  S’il est remarié, maudissez-le,

  S’il est mort, oubliez-le.

– S’il est remarié, je mourrai ;

  Je mourrai s’il est mort.

– On ne jette pas le coffre au feu,

  Parce qu’on a perdu la clef ;

  Une clef neuve, à mon avis,

  Vaut bien mieux qu’une vieille clef.

– Retire-toi, misérable clerc,

  Ta langue est gangrénée par l’impudicité.

Quand le clerc l’entendit, il se rendit secrètement à l’écurie.

Il avisa le cheval du seigneur, le plus beau qu’il y eut dans tout le pays,

Blanc comme un œuf et plus doux encore au toucher,

Léger comme un oiseau, plein de cœur et de feu,

Qui jamais n’avait mangé d’autre fourrage 

que de la lande pilée et du seigle vert.

Le clerc, l’ayant considéré, 

lui enfonça son poignard dans le poitrail.

Quand il l’eut abattu, il écrivit au baron :

« Un autre malheur est arrivé au château

(ne vous fâchez pas, cher seigneur) :

« au retour d’une fête de nuit,

Votre cheval s’est cassé deux jambes. »

Le baron répondit : 

« Est-il possible que mon cheval se soit tué !

« Mon cheval est tué ! mon lévrier crevé !

Cousin clerc, conseillez-la !

« Toutefois, ne la grondez pas,

Mais qu’elle n’aille plus aux fêtes de nuit ;

« Ce ne sont pas seulement les jambes des chevaux, 

Ce sont les unions qu’on y brise. »

  IV  

Quelque temps après le clerc revint à la charge :

– Vous m’obéirez, ma dame, ou vous allez mourir.

– J’aime mieux mourir mille fois 

que d’offenser Dieu mortellement.

A ces mots, le clerc impudique ne se posséda plus de rage :

Il dégaina son poignard, et le lui lança à la tête ;

Mais l’ange blanc de la dame détourna le coup 

Et l’arme alla frapper la muraille.

Et la pauvre femme de s’enfuir,

Et de fermer la porte derrière elle.

Et lui de ressaisir son poignard,

Furieux comme un chien enragé ;

Et de descendre les escaliers,

Deux à deux, trois à trois ;

Et droit à la chambre de la nourrice,

Où l’enfant dormait doucement :

L’enfant y était seul, un bras hors du berceau ;

Un de ses petits bras pendant, l’autre ployé sous la tête ;

Son petit cœur découvert….

Hélas ! pauvre mère vous allez pleurer !

Et puis le clerc remonta,

Et il écrivit en noir et en rouge,

Il écrivit tout d’une haleine au seigneur :

« Dépêchez-vous, dépêchez-vous de revenir ;

« Dépêchez-vous, seigneur, de revenir au château

Pour y rétablir l’ordre :

« Votre chien est mort, et votre coursier blanc ;

Mais ce n’est pas cela qui me désole le plus,

« Ce n’est pas cela qui vous désolera le plus vous-même :

Votre petit enfant, hélas ! il est mort !

« La grande truie l’a dévoré pendant que votre femme était au bal,

« Au bal avec le meunier, son galant, qui plante un rosier au château. »

  V  

Quand le baron reçut la lettre, il revenait du combat,

Il revenait vers son pays, au son joyeux des trompettes

A mesure qu’il lisait la lettre, sa colère s’enflammait.

Lorsqu’il eut achevé de la lire, il la froissa entre ses mains ;

Et il la déchira avec les dents,

Et il en foula les morceaux aux pieds de son cheval.

– Vite en Bretagne ! plus vite donc écuyer,

  Ou je vous passe ma lance au travers du corps !

En arrivant au château, il frappa trois coups

A la porte de la cour ;

Il frappa à la porte de la cour trois coups

Qui firent tressaillir tout le monde.

Quand le clerc entendit, il courut pour ouvrir :

– Comment donc, clerc maudit,

– Ne t’avais-je pas confié ma femme ?

Et il enfonça dans la bouche ouverte du clerc

Sa lance dont le fer ressortit par la nuque ;

Et de monter les escaliers,

Et de s’élancer dans la chambre de sa femme,

Et avant qu’elle pût parler, il la perça de son épée.

  VI  

– Seigneur prêtre, qu’avez-vous vu au château ?

– J’ai vu une douleur telle il n’en fut jamais sur la terre ;

– J’ai vu mourir une martyre,

   Et son bourreau, près d’expirer de regret 

  Seigneur prêtre, dites-moi, au carrefour qu’avez-vous vu ?

– J’ai vu une charogne déterrée, en proie aux chiens et aux corbeaux.

– Et qu’avez-vous vu au cimetière, à la clarté de la lune et des étoiles ?

– J’ai vu une dame vêtue de blanc, assise sur une tombe nouvelle,

Un bel enfant sur ses genoux, le cœur percé de part en part ;

A droite un lévrier fauve, un coursier blanc à sa gauche :

Le premier la gorge coupée, le second le poitrail percé ;

Et ils allongeaient la tête, et ils léchaient ses mains douces ;

Et elle les caressait l’un après l’autre, en souriant,

Et l’enfant, comme s’il fut jaloux, caressait lui-même sa mère ;

Tant que la lune se coucha et je ne vis plus rien ;

Mais j’entendis le rossignol de nuit chanter le chant du paradis.

Jeune fille

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