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La ferme de Kerrouz :

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Souvenirs d’un centenaire, Armand Salomon

Armand Salomon chez lui en 2018 (photo Maryse Bolou)

En 1919, Yves (Youn) Salomon achète à une famille de nobles, originaires de Morlaix (les Barazer de Lannurien), deux fermes et deux penty au village de Kerrouz.

L’ensemble fait 85 hectares, soit la plus grande ferme du canton de Pont Aven. Avec cette vente, ces derniers achètent des vignobles en Algérie. En effet, après la première guerre mondiale, nombre de petits nobles bretons ont vendu leurs fermes pour aller s’établir en Algérie, touchant des subventions de la part de l’Etat.

Comme il faut attendre la fin du bail, les Salomon ne prennent possession de la ferme qu’en 1921, à la Saint-Michel ; en attendant, ils sont locataires à Kernonen.

La famille se compose de 11 personnes : les parents (le père est né en 1876 à Trégunc ; la mère, Françoise Le Naour en 1882 à Melgven) et neuf enfants : 2 filles (Marcelline et Anna) et sept garçons (Yves, Joseph, Louis, François, Jean Marie, Francis et Armand né le 22 novembre1920 à Kernonen en Névez). Anna, mariée en 1933, contracte la tuberculose ; bien que soignée, elle meurt en 1935. Elle contamine sa sœur qui en décède, puis sa mère qui meurt en août 1936 (jour de la fête des Ajoncs d’Or).

Le travail à la ferme nécessite une main d’œuvre nombreuse. Aussi la famille emploie des commis. Ces derniers habitent dans des penty avec leur famille. Ils sont payés à la fin de l’année mais ils disposent aussi pour vivre d’un à deux hectares qui leurs sont alloués et sur lesquels travaillent leurs femmes, et eux-mêmes le dimanche. On leur prête des chevaux et ils reçoivent des semences prises sur la ferme. Ils disposent aussi de talus sur lesquels ils font paître leurs vaches contribuant ainsi à nettoyer les talus et à enlever le lierre des arbres. Pendant les gros travaux, des journaliers sont embauchés : ce sont des pêcheurs (l’été ils pêchent le thon et la sardine et ils se font embaucher dans les fermes en hiver) ou des femmes de pêcheurs : ces dernières font, par exemple, la récolte des pommes de terre, des pommes ou les moissons.

La ferme possède environ 50 à 60 bovins dont 20 vaches laitières, des chevaux de labour : il peut y en avoir 8 à 9, sans compter les poulains (certaines années il y en a 5) ; 30 à 40 porcs, plus les porcelets (plusieurs portées par an) vendus au marché de Pont Aven ou de Quimperlé. On y allait en charrette dans la journée sans être sûr de la vente, donc avec la possibilité de revenir avec la marchandise. On cultive surtout des céréales : froment, avoine, seigle, blé noir et environ 5 hectares de pommes de terre, ainsi qu’un hectare de lin avant la guerre. Le lin est vendu à l’usine de Kernével qui fabrique du fil. La ferme dispose d’un potager où l’on récolte oignons, salades, poireaux, choux et carottes. Ces légumes étaient récoltés jusqu’à l’automne ; ensuite, on n’en consommait plus avant les salades du printemps.

Pour améliorer les sols, surtout après la guerre, on allait chercher du goémon sur la côte, en particulier à l’île Raguénès . En effet, l’usage des engrais n’était pas encore répandu. On apportait une charretée de litière pour la ferme de l’île qui n’en avait pratiquement pas et en contrepartie M. Marrec, de l’île, donnait le goémon qu’il avait récolté.

On allait aussi à Port-Manec’h ramasser du sable comme amendement. A chaque fois, on y consacrait une journée. Ainsi, on partait tôt le matin pour Port-Manec’h ; on prenait le sable sur la plage puis on le mettait en tas, cela avec l’aide de pêcheurs ; la journée était coupée par un repas au restaurant Le Rocher. Tout cela se faisait avec des charrettes tirées par des chevaux.

La mécanisation est encore succincte : la charrue, la herse, le semoir sont tirés par les chevaux. Cependant, la ferme fait preuve d’innovation : elle se dote de la première batteuse de la commune fonctionnant avec un moteur à pétrole (acheté en 1919), puis avec un moteur électrique. L’électricité est arrivée à Névez en 1931 ; elle est installée à la ferme à la Noël 1935. Pour les moissons, la batteuse est prêtée aux petites fermes des environs qui n’en possèdent pas. Une lieuse pour les bottes, venant de Chicago, avait été achetée par Louis Chalony qui avait une ferme au Hénan. Destinée à la ferraille, la lieuse a été rachetée par la famille Salomon. Par contre, dans les penty, on préfère que le battage du blé soit fait au fléau par les femmes. En effet, la paille obtenue par ce moyen est de meilleure qualité pour le chaume des toitures et la récolte du grain est plus importante. Mais après la guerre, les penty envoient leur blé à la batteuse de Kerrouz et les toits se couvrent d’ardoises.

Les céréales sont vendues à deux grainetiers : Kerlan de Névez et Berthou de Pont Aven, qui les revendent aux moulins de Pont Aven. Il s’agit du froment, du seigle et du blé noir, car l’avoine est réservée à la nourriture du bétail en général. 

La lieuse de Chicago

La nourriture à la ferme est peu variée : Les repas se composent généralement ainsi : Le matin, un café : Il était acheté en grains aux auberges qui le torréfiaient avec une machine à charbon ; il fallait ensuite le moudre à la maison. A midi, un potage au lard et pommes de terre avec du pain noir. Le soir, c’était la soupe aux vermicelles, des œufs avec de la salade.

Le vendredi, pas de viande mais des sardines salées en hiver et du poisson frais en été ; des marchands passaient à la ferme deux fois par semaine. Et le dimanche, c’était le pot au feu au bœuf : les bouchers qui faisaient le tour des fermes, apportaient la viande le samedi. 

Achèvement de la moisson à la ferme de Kerrouz

Les loisirs étaient peu nombreux : en été il y avait les baignades dans l’Aven : une plage de sable existait alors au pied du château du Hénan et après les moissons, les jeunes se rendaient à la plage de Port Manec’h. Et il y avait tous les ans les pardons qui étaient les grandes fêtes de la commune. Ils étaient fréquentés par une grande partie de la population.

Le premier dimanche d’octobre, il y avait le pardon de Sainte Thumette qui donnait lieu à des courses de chevaux sur la plage de Raguénès . Le pardon de Saint-Mathieu avait lieu le dernier dimanche de septembre. En juin, lors de la fête de Saint Mathieu, il y avait une bénédiction des chevaux à la fontaine, suivie d’une course cycliste et de courses de chevaux, qui avaient lieu sur un terrain aménagé près de Pont C’hoat (actuelle usine Sodibox). 

Pendant la guerre, la ferme a subi les réquisitions ; dès septembre 1939, il a fallu fournir à l’armée française un cheval (la guerre déclarée le samedi, le lundi, il a fallu le conduire à Pont Aven). Ensuite, les Allemands ont pris aussi un cheval, envoyé à Bannalec qui était un centre de réquisition. Pendant l’hiver 42- 43, une poulinière est aussi partie. Dans une ferme voisine qui n’avait que deux chevaux, les deux ont été réquisitionnés. De plus, tous les ans, la ferme devait fournir une certaine quantité de bêtes pour les abattoirs de Concarneau.

L’approvisionnement en pain blanc a été un des problèmes de la guerre. A partir de l’hiver 41- 42, le pain blanc a manqué : les cartes de ravitaillement permettaient d’avoir un pain fait d’un mélange de céréales de piètre qualité. Sinon, on se « débrouillait ». On apportait un sac de farine au boulanger et on récupérait le pain la nuit sans être vu ; Certains ont même fait du pain dans des cocotes en fonte, placées sur de la braise. Il n’y avait plus de four à Kerrouz ; l’ancien four en pierres avait été transformé en soue à cochons.

Les chevaux de la ferme

Armand Salomon a vécu sur la ferme familiale jusqu’à son mariage à l’âge de 27 ans, en 1948. Par la suite, la ferme a été divisée entre ses frères puis vendue en partie au domaine du Brucou et au camping de Kerlan.

Quant à Armand Salomon, il reprend la ferme de ses beaux-parents, située à Kerascoët, d’une superficie de 15 hectares ; puis, il se lance dans l’exploitation d’un camping à l’âge de 60 ans, menant ces deux activités de front jusqu’à l’âge de 72 ans, en 1992.

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Interview d’Armand Salomon réalisée en septembre 2020, dans sa centième année.

Merci à Mme Flécher, nièce d’Armand, de nous avoir confié les photos de famille.

Michèle Sanogo

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