La Révolution à Nevez

Les réquisitions de 1794 à Névez

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Depuis juillet 1792, la France révolutionnaire est en guerre contre toutes les monarchies européennes. La Convention a décidé en février 1793 la levée en masse de 300 000 hommes célibataires ou veufs de 18 à 25ans, puis en août, des hommes de 25 à 35ans. En mars 1793 a été créé le Tribunal Révolutionnaire pour juger les crimes commis contre la République. On assiste à une radicalisation concrétisée par le régime de la Terreur et incarnée par Robespierre et Saint-Just.

La dimension économique de la Terreur , en 1793 -1794, s’est exercée à travers le pouvoir de réquisition du gouvernement révolutionnaire, dans tous les domaines nécessaires à l’effort de guerre et à l’organisation intérieure. Le rapport ci-dessous, adressé aux administrateurs du District de Quimperlé, donne une idée des conditions de mise en œuvre des lois et directives révolutionnaires dans la commune de Névez.

Nevez, le 11 messidor l’an deux (1) de la République une et indivisible

Citoyens administrateurs,

Nous avons reçu ce matin votre circulaire du sept de ce mois, numérotée 249, nous l’avons fait publier aujourd’hui.

Avoine

À notre connaissance, il n’existe plus d’avoine sur notre commune, nous vous en avions déjà prévenu, en vous donnant avis de celle qui, par vos ordres, a dû avoir été transférée du Poulguin à Rhedon. Les peines sévères prononcées, par l’arrêté du comité de salut public (2) du 28 du mois dernier, contre tout particulier qui en réserverait un demi quintal, nous ont déterminé à cette nouvelle publication quoique nous soyons assurés qu’elle ne peut et ne doit produire aucun effet, ou du moins très peu.

Froment

Le citoyen Decourbes, maire à Pondaven, nous a prévenu que vous lui avez donné ordre de se concerter avec nous, pour transférer au grenier à Quimperlé environ 27 quintaux de froment existant au grenier du Poulguin. Le citoyen Deumié votre collègue que nous savons être particulièrement chargé des détails en cette partie, nous ayant fait dire que nous pouvions être tranquilles jusqu’à ce que l’administration ne nous transmette des ordres positifs à cet égard, nous vous prions de faire connaître, le treize de ce mois, votre détermination aux citoyens maire, agent de la commune et suppléant de notre greffier qui seront à Quimperlé pour y conférer avec l’administration sur les moyens de terminer au plus tôt les affaires en retard.

Depuis nous avons commandé des voitures et des sacs, avec des hommes qui rendront ce froment à Quimperlé mardi matin

Rôles (3)

Vous savez que nos matrices de rôles sont déposées, il y a quelque temps, à votre secrétariat ; nous vous avons instruit, en répondant à une de vos circulaires que nous n’avions ni changement ni addition à y faire.

Chevaux (4)

D’après la publication faite, de notre part, des ordres donnés pour la levée extraordinaire de chevaux tous nos concitoyens de Nevez qui en avaient les ont conduits à Pondaven où les citoyens Le Frotter et Aumont passèrent en revue les chevaux des communes de Nevez et de Nizon. Aucun des chevaux de notre commune ne fut lors jugé propre au service (5). Depuis cette époque, dont le citoyen Decourbes pourra vous donner la date précise, il ne nous est parvenu aucun ordre relatif aux chevaux. Nous avions satisfait précédemment aux différents ordres qui nous avaient été transmis sur cet objet. Une jument à Guillaume Ollivier de Kerlosquet Nevez a été mise en réquisition, gardée environ trois mois à Quimperlé, et réformée ensuite dans un état de dépérissement qui a été à la pure perte de ce propriétaire. Des gendarmes avaient aussi, dans les temps, fait conduire à Quimperlé un cheval qui le lendemain fut jugé incapable de servir.

Nobles (6)

Comme vous aviez une parfaite connaissance qu’aucun ci-devant noble n’habitait notre commune, nous n’avions pas jugé qu’il fut nécessaire de vous en faire passer un certificat d’après la nouvelle demande formelle que vous nous adressez pour en avoir la liste, nous vous attestons qu’aucun ci-devant noble n’est et n’a été domicilié de notre commune depuis le commencement de la Révolution et même longtemps auparavant, et qu’il ne s’y est réfugié aucun des autres parties de la République, ni des pays étrangers.

Dettes

Nous vous avons déjà répondu, à une précédente circulaire, qu’à notre connaissance la commune n’a ni dettes actives ni passives, à l’exception de ce qui est porté dans les charges locales. Nous ignorons si les comptes des fabriques nous feront faire quelques découvertes à cet égard.

Comptes de fabriques (7)

Hier décadi (8)  nous avons été occupés presque toute la journée à chercher des papiers et titres nécessaires pour dresser les comptes des fabriques. Ces papiers déposés dans les archives y étaient confondus avec un tas de paperasses inutiles. Le citoyen Bernard, entre les mains duquel nous les avons remis, en fera le dépouillement et dressera ces comptes au premier moment dont il pourra disposer. Il attend aussi des renseignements qu’il a demandés, en notre nom, au citoyen Decourbes. Si ces deux moyens ne nous procurent pas de nouvelles lumières, les comptes des fabriques se réduiront à peu près à faire l’articulement de modiques sommes touchées pour offrandes et dépensées à l’entretien et aux réparations des églises ou, pour mieux dire, de la principale église.

Instituteurs

Depuis le 22 floréal dernier (9) , le citoyen Bernard, instituteur de la langue française, est en activité. Nous n’avons qu’à nous louer de son zèle et des efforts qu’il fait pour former l’esprit public de notre commune. A la réception de votre dernière circulaire, nous, réunis aux notables, avons nommé Jacques Caudan, notre officier public, instituteur des écoles primaires. Nous avons fait aussitôt publier cette nomination. Nous n’avons pas tardé à vous en donner connaissance et à vous annoncer que la disette absolue de sujets capables nous mettait dans l’impossibilité de nommer une institutrice. Nommez-en une pour la commune si vous le jugez à propos.

Instructeurs

Nous ignorons ce que la loi ou des ordres particuliers exigent de nous relativement aux instructeurs. Nous vous prions de nous donner les éclaircissements qui nous manquent sur ce point.

500 livres de terrain

Relativement aux cinq cents livres de terrain accordés, sans intérêts par la Nation aux pères de famille non propriétaires et non imposés, nous avons fait donner la plus grande publicité à la loi, à l’instruction du comité de salut public  et à vos circulaires. Nous avons sollicité et pressé nos concitoyens à profiter du bénéfice de cette loi, dont l’instituteur a fait sentir tous les avantages. D’après vos nouvelles instances, nous vous attestons que les citoyens dénommés ci-après sont dans ce cas de profiteur (10)  de la faculté accordée par cette loi :

Nicolas Michelet de Kerlan; Jean Lautrou de Keraliou (11); Louis Le Marrec de Keraleun (12); Yves Le Marrec de Kerenreun (13);  et Mathieu Le Marrec de Kerenreun.

Si, ce que nous ne croyons pas, quelqu’un avait échappé à nos recherches, nous nous empresserions de vous en faire part et de délivrer tous les certificats qu’il dépendra de nous d’accorder pour l’exécution d’une loi qui honore nos représentants. Faites nous savoir, s’il vous plait, si le mot générique de chef de famille comprend aussi les citoyennes qui se trouvent à la tête d’un ménage et d’une famille.

Emprunt forcé (14)

Aucun particulier de notre commune ne réunit les conditions exigées par les lois pour être assujetti à payer l’emprunt forcé.

Chiffons

Nous nous flattons d’avoir été les premiers de tout le district à déposer au magasin à Quimperlé une plus grande quantité de chiffons que ne demandaient de nos concitoyens les arrêtés du Comité de salut public. Nous vous avons prévenu de l’envoi que nous en avons fait et il n’y a pas de notre faute de n’avoir pas eu un reçu que nous avons demandé au citoyen Bonnetis, garde magasin.

Décès & autres

Nous vous avons fait passer la note des naissances, mariages et décès pendant l’année 1792 en notre commune.(15)

Biens nationaux

A la réception de votre circulaire du 6 prairial (16) , nous avons essayé de dresser l’état des biens nationaux meubles et immeubles, des biens des émigrés et des prêtres déportés. Avec la meilleure volonté du monde nous n’avons pas tardé à sentir et à reconnaître notre impuissance pour dresser avec exactitude l’état que vous nous demandiez. Nos connaissances se bornaient à savoir que quelques particuliers de notre commune payaient des rentes aux citoyens Decourbes de Pondaven et Prouhet de Trégunc , mort il y a déjà longtemps, sans savoir combien chaque particulier payait, et pour qui on recevait et si les propriétaires étaient émigrés ou non. Nous avons en conséquence écrit aux citoyens Prouhet agent de la commune de Trégunc qui nous a répondu. Nous vous communiquerons cette réponse et nous mettrons à profit les instructions qu’il nous donne ; et au citoyen Decourbes de Pondaven qui nous a promis verbalement qu’il remettrait sans tarder par écrit au citoyen Bernard un état détaillé. Nous tenons pour certain que les occupations multipliées de ces deux fonctionnaires publics, qui travaillent presque continuellement du soir au matin et souvent pendant une grande partie de la nuit, pour les intérêts de la patrie, ont été la seule cause d’un retard momentané. Euzenou père (17) , parent d’émigrés, est à notre connaissance le seul possesseur de biens fonds sujets à être portés sur l’état qu’on nous demande. Trois prêtres de notre commune, Galliot, curé, Calvez, vicaire, et Le Meur, se sont déportés volontairement (18). Aucun des trois n’avait de biens fonds dans notre commune. On nous a dit que Galliot avait une maison au district du Faouët. Les parents de Calvez demeurant à Lanriec, à deux lieues de Nevez, dans le district de Quimper, ont emporté des meubles lors de son départ. Comme il avait été nouvellement ordonné prêtre, il n’avait presque pas de meubles. Le Meur, qui avait des dettes, a fait venir ses créanciers, auxquels il a donné son petit mobilier, autant à valoir à ce qu’il leur devait. L’ex-curé Galliot, parti longtemps après les autres, à la fin de septembre 1792, a vendu son mobilier qui était peu de choses. Aucun particulier de notre commune n’a été condamné avec confiscation de biens au profit de la République. Nous n’avons pas de connaissance qu’aucun condamné, domicilié ailleurs, ait du bien à Nevez.

Sur les articles infirmes, indigents, mendicité, inscription sur le livre de bienfaisance, nous avons presque terminé nos opérations, ce que prouve notre correspondance avec le citoyen Guillou.

Signé Bernard (19), en l’absence du greffier, pour le maire et officiers municipaux de Nevez qui ne savent signer.

(1) 29 juin 1794 ; le 22 mai, 26 administrateurs du Finistère ont été guillotinés à Brest pour avoir conspiré contre la République… le rapport traduit une certaine tension, dans cette période de Terreur: les justifications sont omniprésentes.

(2) Il existait également sous la Révolution française des « comités de salut public des départements » (ou « comités de surveillance ») constitués dans une trentaine de départements par des jacobins locaux ou des représentants en mission. Organismes chargés, à l’origine, de recueillir des renseignements sur le département et de développer le civisme, ils voient leurs attributions élargies en matière de surveillance et de réquisitions.

3) Rôles: il s’agit des rôles d’imposition, c’est-à-dire des états déterminant ce que chaque contribuable aura à payer au titre des différents impôts.

(4) Chevaux: la réquisition des chevaux est destinée à couvrir les besoins de l’armée, en cette période riche en conflits contre presque toutes les royautés d’Europe, sans compter les guerres de Vendée et la Chouannerie

(5) Il est certain que les paysans névéziens avaient à cœur de proposer en priorité des « tocards »..

(6) Nobles: 16 avril : décret contre les suspects et les nobles1. Les lois des 27 germinal (16 avril) et 5 floréal (24 avril) aggravent les peines et centralisent l’instruction des dossiers judiciaires à Paris

(7) Comptes de fabriques: comptes de l’Eglise: la fabrique était chargée de gérer les biens religieux au nom des paroissiens.

(8)  Dixième jour de la semaine révolutionnaire.

(9) 11 mai 1794.

(10) bénéficiaire.

(11) Kerliou  (12) Kerleun  (13) Kerrun

(14) L’emprunt forcé était en fait un impôt sur les revenus remboursable en biens nationaux.

(15) C’est le 20 septembre1792 que l’Etat Civil se substitue aux registres paroissiaux à Névez.

(16) 25 mai 1794.

(17) Famille Euzenou de Kersalaün, propriétaire du château du Hénan, qui sera vendu comme bien national.

(18) En Espagne, région de San Sebastian.

(19) En 1791, le district de Quimperlé nomma Guillaume Bernard (officier municipal) à Névez pour y faire appliquer la loi. Faisant office d’instituteur, il enseignait dans l’église du haut de la chaire. Ce républicain essaya d’inculquer aux enfants de Névez la lecture du français. L’école fut un échec, les enfants de Névez travaillaient plutôt aux champs.


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